Un jour, des voitures : Renault « de luxe »

Mai 19, 2021 | À la une, Actus, La fabrique de Young

La R21 Baccara essayée ce mois-ci dans Youngtimers affiche des prétentions luxueuses en décalage avec l’image populaire de son losange. L’ex-Régie Nationale a pourtant flirté épisodiquement avec l’univers du luxe et du prestige au cours de sa riche histoire… On l’a oublié, mais Renault a lancé dès 1907 sa première 6-cylindres, la gigantesque « AR » de 50CV forte de… 9,5l ! Au lendemain de la grande saignée de 14-18, l’entreprise menée par Louis Renault, la première privée de France, produit à peu près tout ce qui roule : auto, camion, bus, tracteur agricole, tank et couvre presque tous les besoins. Son offre de voitures de tourisme s’étend alors de la 10CV à la 40CV. Sa monumentale proue en coupe-vent abrite un 6-cylindres en ligne de 7,5l (ou 9l à partir de 1921 !) porté par un châssis de 3,80 m d’empattement minimum. A une époque où l’industrie automobile, qui fabrique essentiellement des châssis, est complémentaire du semi-artisanat de la carrosserie, des grands noms comme Binder, Kellner, Weyman ou Letouneur & Marchand habillent les châssis 40CV de carrosseries de luxe. Laqueurs, ébénistes, maroquiniers ou architectes d’intérieur parachèvent les habitacles quand les matériaux pionniers que sont le bois et le cuir composent encore une part importante des caisses d’inspiration hippomobile… Et rien n’est trop démesuré dans les années folles, y compris chez Renault. Au salon de 1928, une 8-cylindres en ligne de 7,1l développant la bagatelle de 110 ch à 2600 tr/mn (!) succède à la 40CV. Elle s’appelle Reinastella et donne naissance à toute une famille : Reinasport, Nervastella, Nervasport… En 1938, la Suprastella fait entrer les 8-cylindres dans l’ère des carrosseries aérodynamiques, mais l’âge d’or du luxe à la française prend fin avec les années 1930. Suite à sa nationalisation « punitive » par le gouvernement de Gaulle en janvier 1945, l’empire de Louis Renault devient la Régie Nationale de Usines Renault (RNUR). Face aux pénuries d’acier, le plan Pons régente le marché automobile et distribue les rôles. A Citroën les grandes voitures, à Peugeot les moyennes et à Renault, désormais, les petites… Modèle longtemps unique, la minuscule 4CV est la première voiture française à dépasser le million d’exemplaires. Entre le losange et les masses se construit une nouvelle histoire faite de gros succès populaires : Dauphine, R4, R8, R5… Renault s’installe pour très longtemps en tête du marché français, devant les « privés » Citroën, Peugeot et Simca. Les prétentions au luxe n’ont pourtant pas disparu pour le constructeur de la « voiture du peuple » d’une France dont Jacques Lessourne a écrit qu’elle était « une Union soviétique qui a bien tourné ». Car la croissance des Trente Glorieuses et l’alliance avec Peugeot autour d’un futur V8 3,5l, en 1966, a nourri l’appétence de Renault pour les marges bénéficiaires supérieures procurées par les grosses voitures statutaires.

En 1967, le prototype « H » d’une super-R16 à propulsion, V8 et suspension oléopneumatique roule, mais plus personne ne se souvient des années folles des Renault à 8-cylindres. La faiblesse des débouchés oblige à reconsidérer le projet selon la culture du Renault d’après-guerre privilégiant plus les prestations et la praticité que le statut social. Aussi, la R30 qui sort en 1975 associe pour la première fois un moteur V6 à une carrosserie semi-utilitaire alors que la plus bourgeoise Peugeot 604 joue les Mercedes à la française. En 1972 éclate la bombe R5. Grâce à elle, Renault va représenter à lui seul jusqu’à 40 % des immatriculations de voitures neuves en France en 1980, record encore aujourd’hui inégalé. Surtout, elle définit pour des décennies l’archétype de la voiture française, une petite traction bicorps à 3 portes (et bientôt 5). Une « supermini », comme disent les Anglais, populaire et polyvalente, à la campagne comme à la ville.

Mais dans les villes, il y a aussi des beaux quartiers et un petit marché pour des secondes voitures chics. Renault y avait certes déjà pensé en 1963 avec la R4 « Parisienne », mais sous son simple décor latéral canné, personne n’a pu ignorer sa vocation rurale et rustique originelle. Le rôle d’urbaine chic ne peut être tenu que par la R5 qui inspire d’ailleurs quelques initiatives extérieures à Renault. Citons la « Le Car Van » d’Heuliez, sorte de lupanar roulant née d’une idée du magazine Lui (!) ou la « Laurence », R5 embourgeoisée en petite quantité par les associés Alain Rolland et Philippe Lamirault. En série, Renault ne se lance dans la niche de la citadine « de luxe » qu’en 1982 avec la 5 TX, une TS enrichie de peintures spécifiques, de sièges pétale en velours, de vitres teintée à commande électrique et d’une direction assistée. Une dotation très généreuse pour une petite voiture à l’époque ! Il ne lui manque que le cuir, matériau ancien rappelant le temps où l’automobile était le privilège d’une élite. Le pas est enfin franchit à la mi-87 à l’occasion de la présentation de la gamme Supercinq de seconde phase, que coiffe la version « Baccara », extrapolée de la nouvelle GTX. Le nom commercial singe celui de la fameuse cristallerie lorraine, sise dans la ville de Baccarat (54), un peu à la manière de ces parfums d’imitation que vendent les magasins de produits détaxés à la frontière espagnole, ce qui vaudra d’ailleurs à Renault un long procès et l’abandon, à terme, de Baccara au profit d’ « Initiale Paris »… Dans l’immédiat, cette Supercinq « populuxe » se fait pourtant soignée dans le détail : teinte spécifique intégrale, équipement maximum, cuir Cordoba couleur ficelle plissé à l’américaine et housse à costume sous la tablette arrière.

Si Renault a loupé le coche du petit cabriolet face à la 205, la Régie a le monopole de l’urbaine de luxe à la française jusqu’en 1990. Peugeot ne réagira que très tardivement avec des 205 Griffe et Gentry trop proches d’une GTI option cuir, alors que la Supercinq a déjà été remplacée par une Clio Baccara « pas assez chère ». A l’autre extrémité de la gamme, le concept Baccara est étendu au Mondial 1988 à la grande R25 V6. Si cette dernière proposait dès son lancement quatre ans plus tôt l’option cuir, la Baccara y ajoute quelques boiseries et une harmonie intérieure partiellement marron clair rappelant celle des « salons roulants » britanniques. Néanmoins, la comparaison avec la Rover 827i Sterling, effectuée par l’Auto-journal, tourne à la correction. L’habitacle n’a pas été prévu à l’origine pour recevoir un ensemble de boiseries, les couleurs ne s’harmonisent guère et la finition reste de très grande série…

Néanmoins, la reprise de la fin des années 80, ainsi que le restyling réussi de 1988 conforte la R25 dans son statut de fleuron automobile national. Elle restera étroitement attachée à la seconde partie du « règne » de François Mitterrand et à cette « gauche caviar » que certains surnommeront le « gang des R25 ». A cela s’ajoute une recherche d’association à des évènements prestigieux prisés de la Jet Set et autres VIP. Renault parraine ainsi le célèbre festival de Cannes, la R25 devenant le temps d’une quinzaine de jours, le véhicule officiel des personnalités les plus photographiées du moment. A l’extrême fin de sa carrière, en 1992, la 25 fera également partie des véhicules officiels des jeux olympiques d’Albertville. Renault parle désormais de luxe sans complexe et achète des pages de publicité dans la très chic revue Automobiles Classiques (35F le numéro !) pour promouvoir sa gamme « cuir ». Une gamme hétéroclite comprenant, autour de la Supercinq et de la R25 Baccara, les R19 et 21 option cuir, la Jeep Cherokee Limited et l’Alpine V6 Turbo. D’où l’étendue du label Baccara au cœur de gamme, dont la R21, à la rentrée 1990. Elle précède la R19 Baccara, introduite lors du restylage du modèle au printemps 1992… Parce qu’on ne vend pas ces véhicules comme une vulgaire Supercinq Five, le réseau Renault se dote de « Pavillons Baccara », séparés du magasin d’exposition principal. Un prémisse de stratégie de vente « premium » qui ne concerne que les plus grosses concessions, dont celle de Boulogne-Billancourt (92), berceau de Renault, laquelle comprend déjà un Centre Alpine. Ces pavillons, dont nous n’avons malheureusement pas retrouvé de photos (si vous en avez…) n’ont pas duré longtemps (91-93 ?). Certains ont été remplacés aujourd’hui par des espaces de vente Dacia…

Texte : Laurent Berreterot

 

Retrouvez l’essai de la Renault 21 Baccarra :

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